Capables d’innover ? Q et R avec les PDG d’Evelo Biosciences et d’Abdul Latif Jameel Santé concernant leur nouvelle aventure passionnante
En janvier 2021, Abdul Latif Jameel Santé a annoncé son premier partenariat commercial pour des médicaments à visée thérapeutique, une nouvelle collaboration majeure avec Evelo Biosciences, une société de biotechnologie spécialisée dans les essais cliniques basée aux États-Unis qui développe un nouveau type de médicaments administrés par voie orale.
Dans le cadre de l’accord récemment annoncé, les deux sociétés collaboreront pour développer et commercialiser l’EDP1815, le principal produit candidat d’Evelo contre l’inflammation, au Moyen-Orient, en Turquie et en Afrique.
Nous avons rencontré le Dr Simba Gill, Ph. D., président-directeur général d’Evelo Biosciences, et Akram Bouchenaki, PDG d’Abdul Latif Jameel Santé, pour parler de science, des ambitions derrière la nouvelle collaboration et des opportunités qu’ils espèrent explorer.
Qu’est-ce que les médicaments qu’Evelo développe ont de nouveau ?
SG : Chez Evelo, nous nous concentrons sur un domaine de la biologie découvert il y a peu. Il a récemment été établi que l’intestin grêle contrôle la biologie de tout l’organisme. Il détecte les microbes dans l’environnement externe et, selon ce qu’il trouve, il est capable de moduler la biologie de tout l’organisme. C’est une partie à la fois très simple et fondamentale de notre biologie que nous ne connaissions pas auparavant. Cela permet d’administrer des agents pharmacologiques à certaines cellules de l’intestin grêle pour qu’elles émettent une réponse appropriée dans tout l’organisme.
Cela signifie, et nous l’avons maintenant validé cliniquement, qu’il est possible de créer un type de médicament complètement nouveau, efficace et administré par voie orale. Un médicament pouvant être développé, fabriqué et distribué à un prix abordable, et stable à température ambiante. Un médicament efficace, sûr, abordable et stable à température ambiante, cela peut sembler évident, mais en fait, très peu de médicaments biotechnologiques innovants présentent ce profil.
Quels avantages cela offre-t-il ?
SG : Développer des médicaments dotés de ce profil offre deux grands avantages. Tout d’abord, il est beaucoup plus facile de traiter ceux que nous appelons « la majeure partie de la population mondiale », c’est-à-dire les futurs 9 milliards de personnes qui ne vivent pas dans des pays riches.
Actuellement, seul un très faible pourcentage de patients ayant besoin de médicaments biotechnologiques sont réellement en mesure d’y accéder. Cela est dû en grande partie à leur prix. Par exemple, un médicament anti-inflammatoire typique aux États-Unis est facturé environ 60 000 USD par cycle de traitement et par patient. C’est évidemment contraignant pour la majeure partie de la population mondiale.
La stabilité du médicament constitue une autre limitation. Pour être viable pour la majeure partie de la population mondiale, le médicament doit être stable à température ambiante, afin de pouvoir être administré dans un large éventail de contextes. Mais comme nous l’avons vu avec le déploiement du vaccin contre la COVID-19 et les problèmes de stockage correspondants, ce n’est pas facile.
L’innocuité et la tolérance sont également des considérations essentielles. La plupart des médicaments entraînent des effets secondaires et causent des problèmes de tolérance en raison de ce que nous appelons « l’engagement hors cible ». La chimiothérapie, par exemple, attaque et détruit toute cellule qui se divise rapidement. Toutefois, cela inclut non seulement les cellules cancéreuses, mais également d’autres cellules qui se divisent rapidement, comme les cellules ciliées, ce qui explique pourquoi les patients atteints de cancer perdent souvent leurs cheveux. Bien que vrai pour presque tous les médicaments à différents niveaux, cela peut être évité avec nos nouveaux médicaments.
Les données que nous avons récemment rapportées ont montré qu’un médicament bien toléré et stable à température ambiante peut avoir un effet clinique significatif sur l’inflammation. Nous avons également augmenté notre production pour pouvoir développer et fabriquer ces médicaments à un prix très abordable, ce qui permet de traiter la majeure partie de la population mondiale beaucoup plus facilement, y compris évidemment en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient et dans d’autres marchés à forte croissance.
Le deuxième grand avantage du profil de nos médicaments potentiels est qu’il permet de traiter la maladie très tôt. La plupart des maladies chroniques importantes ne sont pas traitées de manière efficace dès le début. L’inflammation et le dérèglement du système immunitaire sont les principales causes de la plupart des maladies chroniques majeures, y compris la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, la démence, la maladie d’Alzheimer, l’asthme, l’allergie alimentaire, la dermatite, le psoriasis, la maladie de Crohn, etc. Mais nous ne les traitons pas de manière anticipée parce que nous ne disposons pas de ce profil de médicaments délivrés par voie orale, sûrs, abordables, efficaces et idéalement stables à température ambiante.
Le nouveau profil de médicaments que nous développons nous permet d’intervenir à tous les stades de la maladie. En conséquence, les soins de santé consisteront davantage à prévenir les maladies graves, ce qui nous permettra de vivre de plus en plus longtemps et en bien meilleure santé. Ces médicaments luttent principalement contre l’inflammation, mais ont aussi des applications beaucoup plus vastes. Ils auront également un impact sur les maladies et les affections métaboliques telles que le diabète, qui comme l’obésité est une cause majeure d’inflammation.
Comment espérez-vous rendre ces médicaments abordables ?
SG : Il y a deux éléments à prendre en compte. Le premier est la manière dont nous pouvons fabriquer et distribuer nos produits, qui est beaucoup plus rentable que pour les médicaments biotechnologiques classiques.
Par exemple, les thérapies cellulaires, très en vogue actuellement, sont extrêmement complexes à fabriquer et, pour cette raison, seront toujours très coûteuses.
Je rejette l’idée que l’innovation implique un prix élevé. Nos produits sont avant tout des formes spécifiques de bactéries. Le processus de fabrication reste très complexe, mais une fois que vous l’avez compris, vous pouvez effectuer des économies d’échelle extrêmement rentables. De plus, le fait qu’ils soient stables à température ambiante signifie qu’il est plus facile et moins cher de les expédier dans le monde entier, car il n’est pas nécessaire de disposer d’installations réfrigérées spéciales. Et il est plus facile et moins coûteux de donner un comprimé à quelqu’un que de lui faire une injection.
Le deuxième point est le modèle commercial. Traditionnellement, l’industrie de la biotechnologie était fondée sur des prix élevés et de faibles volumes, comme sur le marché des produits de luxe.
Mais si vous êtes courageux et que vous pouvez inverser ce modèle et offrir des volumes élevés à des prix plus bas, vous pouvez potentiellement aider des milliards de personnes.
Pour ce faire, vous devez créer un état d’esprit qui donne la priorité au traitement de milliards de personnes.
Ce service est peut-être le plus grand que nous puissions rendre aujourd’hui à l’humanité, plus important encore que la protection de l’environnement. La protection de notre environnement est évidemment extrêmement importante. Cependant, les dommages causés à l’environnement n’entraîneront probablement pas d’impact négatif à l’échelle mondiale d’ici une génération, alors qu’à l’heure actuelle, la vie de milliards de personnes pourrait s’améliorer considérablement si elles avaient un meilleur accès à des médicaments efficaces. Et si vous vendez des produits à des milliards de personnes, le fait que le prix unitaire soit inférieur n’est pas un problème, commercialement parlant. Il s’agit d’innovation à volume élevé, un concept complètement nouveau.
Simba, qu’est-ce qui vous a amené à collaborer avec Abdul Latif Jameel Santé ?
SG : L’adéquation entre nos deux organisations est tout simplement fantastique. Il faut être courageux et visionnaire pour faire des choses qui n’ont jamais été faites auparavant, et Abdul Latif Jameel Santé possède ces deux qualités.
Cette société est très bien alignée sur notre mission, qui consiste à avoir un fort impact sur la santé dans le monde, grâce à de nouveaux médicaments abordables pouvant être distribués à de nombreuses personnes.
La multinationale biotechnologique classique donnera toujours la priorité aux États-Unis, puis probablement à l’Europe et enfin au Japon, en fonction de l’entreprise, et les autres zones géographiques ne suivront qu’après. Mais Abdul Latif Jameel Santé ne pense pas comme cela. Cette société fait preuve d’un esprit d’entreprise et d’une compréhension du monde que l’on ne trouve certainement pas dans les multinationales basées en Amérique, ni même en Europe.
Nous avions la conviction qu’Abdul Latif Jameel Santé comprenait vraiment ces marchés, ces endroits où vivent « la majeure partie de la population mondiale », et comprenait comment agir de manière entrepreneuriale pour y créer quelque chose d’important.
Akram, qu’est-ce qui chez Evelo correspondait à la mission d’Abdul Latif Jameel Santé ?
AB : Pour nous, le partenariat avec Evelo est particulièrement efficace pour plusieurs raisons. Avant tout, la science. L’innovation d’Evelo, ainsi que l’excellente recherche, le travail clinique et la vitesse à laquelle cette société a développé ses thérapies sont vraiment uniques, surtout compte tenu des circonstances actuelles en rapport avec la pandémie. Je crois sincèrement qu’un tout nouveau domaine de la médecine va se débloquer.
Ensuite, l’idée est de permettre à des régions du monde généralement mal desservies d’accéder à des médicaments innovants, ce qui correspond parfaitement à nos ambitions. C’est ce concept qui est au cœur de la mission d’Abdul Latif Jameel Santé, et que nous voyons maintenant se réaliser.
Le troisième élément est ma relation avec Simba et l’admiration et le respect profonds que j’ai pour ce qu’il a accompli, non seulement chez Evelo, mais aussi depuis ses débuts dans les laboratoires de recherche au Royaume-Uni et son rôle chez Maxygen, un pionnier dans le domaine de la biotechnologie, jusqu’à son implication plus récente auprès d’un certain nombre d’innovateurs en biotechnologie, comme Gilead Sciences, où nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a plus de 20 ans. Voilà les trois éléments qui rendent l’accord si important à mes yeux.
Pourriez-vous expliquer la nature de la collaboration et ce que vous espérez réaliser ?
AB : Il s’agit d’une collaboration très classique : Evelo apporte l’innovation, et nous construisons le canal permettant de commercialiser et de rendre cette innovation disponible. Voilà en gros de quoi il retourne.
Si l’on rentre dans les détails, il est intéressant de noter qu’Evelo et Abdul Latif Jameel Santé vont développer ensemble le marché pour ce composé. Nous devons éduquer et informer la communauté médicale sur l’importance de ces nouveaux médicaments. Il s’agit donc d’une tâche importante, que nous allons accomplir conjointement avec Evelo.
Nous soutenons également Evelo en tant qu’investisseur, ainsi qu’en tant que partenaire commercial, ce qui renforce l’alignement et la collaboration entre les deux groupes.
SG : L’objectif principal d’Evelo est l’innovation scientifique et l’obtention de résultats cliniques via cette innovation. Nous allons nous positionner comme leaders dans ce domaine. Abdul Latif Jameel Santé bénéficie d’une forte présence sur tous les marchés importants en Afrique et au Moyen-Orient, et mènera donc la construction des infrastructures et de tout ce qui est en rapport avec l’ouverture de ces régions. Il y a environ 1,7 milliard de personnes dans les zones géographiques que nous allons cibler, ou peut-être plus. Notre objectif chez Evelo est de donner accès à nos médicaments aux personnes qui en ont besoin à l’échelle mondiale ; c’est pourquoi cela compte vraiment pour nous.
Quels sont, selon vous, les plus grands défis de cette aventure ?
AB : Il existe des défis macroéconomiques dans la région, car les innovations habituelles prennent plus de temps pour atteindre nos zones géographiques cibles. Par exemple, il faut en moyenne sept ans pour qu’un médicament approuvé aux États-Unis atteigne le Moyen-Orient. Il faut encore plus de temps pour qu’il atteigne certaines régions d’Afrique, si tant est qu’il les atteigne. Le défi numéro un est donc d’arriver à surmonter les obstacles pour accélérer cet accès. Cela consiste en partie à s’assurer que les problèmes réglementaires sont gérés efficacement. Ensuite, il s’agira de construire l’infrastructure permettant le lancement et d’éduquer la communauté médicale sur le nouveau médicament.
Bien sûr, le contexte et les défis spécifiques varieront selon les pays, mais l’un des principaux points forts d’Abdul Latif Jameel Santé est sa capacité à s’adapter aux contextes locaux et à traiter les problèmes au fur et à mesure qu’ils surviennent.
Votre produit candidat principal est l’EDP1815. De quoi s’agit-il, et comment agit-il ?
SG : L’EDP1815 est la préparation pharmaceutique d’une souche unique de bactéries commensales naturelles. Les bactéries commensales sont des bactéries complètement inoffensives qui vivent naturellement dans notre corps. Notre plateforme nous a permis d’identifier que l’EDP1815 est un microbe spécifique dont les données cliniques et précliniques montrent qu’il permet, lorsque vous l’administrez en doses adéquates sous forme de comprimé ou de capsule, de combattre l’inflammation associée à de multiples maladies inflammatoires, y compris la COVID-19.
Une autre grande opportunité réside dans le traitement de formes de cancer généralement mal traitées. Nous avons démontré, au niveau préclinique et clinique, qu’en activant le système immunitaire, nous pouvons améliorer sa capacité à détecter, attaquer et tuer les cellules cancéreuses dans tout l’organisme.
Comment l’EDP1815 peut-il contribuer à la lutte contre la COVID-19 ?
SG : Il est généralement admis que l’évolution vers une COVID-19 grave est causée par la réaction excessive de l’organisme au virus, ou réponse hyperinflammatoire ; c’est la « tempête cytokinique » souvent évoquée dans les médias. Cela a amené un certain nombre d’entreprises à considérer les médicaments anti-inflammatoires comme des traitements potentiels de la COVID-19. Or ces derniers ont eu une efficacité limitée. Dans le meilleur des cas, ils réduisent la mortalité chez les patients atteints de COVID-19 à un stade très avancé, mais sont moins efficaces aux stades précoces de la maladie. Alors pourquoi pas ? On constate que bien que les anti-inflammatoires puissent bloquer la réponse inflammatoire à l’origine de la progression de la COVID-19, ils sont si puissants qu’ils empêchent également notre système immunitaire de combattre le virus.
Nous avons démontré que l’EDP1815 opère de manière idéale : il réduit la réponse inflammatoire causée par la maladie, mais sans entraver notre capacité naturelle à combattre le virus.
En cas de succès, la possibilité d’utiliser l’EDP1815 pour le traitement communautaire généralisé de la COVID-19 à un stade très précoce se matérialiserait véritablement. Il s’agit d’un produit que vous pouvez ingérer à la maison avant d’aller à l’hôpital. Vous ne pouvez pas faire cela avec un médicament injectable, ce qui nous ramène à l’idée principale d’Evelo : un médicament efficace, abordable, administré par voie orale et stable à température ambiante.
À l’avenir, le coronavirus deviendra endémique, sans parler des nouveaux variants. Même avec les vaccins, de nombreuses personnes dans le monde continueront à attraper la COVID-19 chaque année ; le besoin de médicaments pour la combattre restera donc énorme.
Alors, après la signature de ce premier partenariat, quelle est la prochaine étape pour Abdul Latif Jameel Santé ?
AB : Notre objectif est de continuer à établir des relations avec d’autres partenaires aussi solides qu’Evelo en termes de qualité et d’impact sur l’espace thérapeutique.
L’autre objectif est le travail que nous effectuons sur le dépistage et le diagnostic. Le dépistage et le diagnostic précoces et généralisés sont les principaux catalyseurs pour des sociétés plus saines. Nous sommes donc également activement à la recherche de solutions innovantes et percutantes dans le domaine des diagnostics et du dépistage.
J’espère que nous serons bientôt en mesure d’annoncer plus d’offres qui nous permettront d’avancer vers un avenir où l’accès à des soins de bonne qualité ne dépendra pas seulement des moyens financiers de chacun.