Antoine Allanore, Professeur assistant au Département de Science et génie de matériaux du MIT, conduit l’un des sept projets de recherche auxquels ont été récemment octroyés un financement par le J-WAFS.  Antoine cherche à développer un nouveau type d’engrais potassique dérivé du feldspath potassique, un minéral largement disponible pouvant être produit localement, plutôt que de dépendre des approvisionnements en chlorure de potassium importé onéreux.

 « Opening Doors » (Ouvrir des portes) a discuté avec le Professeur Allanore au sujet de son projet et de ses objectifs.

 Quel est l’intitulé de votre projet ?

Le projet est intitulé « Engrais potassique à prix abordable issu du feldspath potassique pour l’Afrique ».

Quels sont les problèmes que vous souhaitez traiter ?

Les Nations Unies prévoient une population mondiale de 8,5 milliards d’êtres humains d’ici à 2030 – une augmentation de 1,2 milliards en seulement 15 ans à compter de 2015 – et une population de 9,7 milliards d’ici à 2050[1].  Ces taux de croissance sont déjà saisissants, mais bien plus encore lorsque vous considérez que l’essentiel de cette croissance démographique surviendra dans des régions du monde connaissant déjà des difficultés à répondre aux besoins alimentaires et en eau de leurs populations actuelles aujourd’hui.  L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (ONUAA ; FAO) prévoit qu’avec plus de 33 % d’humains à nourrir d’ici 2050, la production alimentaire devra s’accroître de 70 %[2] – aussi nous devons rechercher des moyens de produire plus d’aliments, plus efficacement.  Les engrais constituent un des moyens d’accroître le rendement des cultures, mais dans les pays où le besoin est le plus important, les solutions importées s’avèrent extrêmement onéreuses.

Aujourd’hui, le Canada, la Russie et la Biélorussie comptent pour plus de 85 % de la production mondiale de chlorure de potassium (KCI), qui est le composé le plus largement utilisé pour la fertilisation à base de potassium en agriculture.  Avec des sources peu coûteuses et facilement disponibles pour les pays de l’hémisphère nord, en raison de la logistique des transports, le KCI s’avère cher et insuffisant dans l’hémisphère sud.  Dans le même temps, les sols de l’hémisphère sud et des zones tropicales ont une constitution différente de celle des sols de l’hémisphère nord.  Cela signifie que le KCI n’est pas aussi efficace en termes de fertilisation dans ces régions.  Aussi, nous cherchons à développer un nouvel engrais potassique dérivé du traitement hydrothermique du feldspath potassique – un minéral largement répandu à travers la planète, ceci incluant l’Afrique – en présence d’oxyde de calcium.  Ceci pourrait s’avérer particulièrement utile pour l’agriculture tropicale en Afrique du Nord, où 1) les coûts de transport du chlorure de potassium sont extrêmement élevés, 2) les sols ne sont pas vraiment adaptés aux engrais à base de chlorure de potassium, et 3) le feldspath potassique (feldspath K) est facilement disponible.

Pour quelle raison le chlorure de potassium a-t-il été traditionnellement largement utilisé comme composé pour la fertilisation au potassium ?

Vers la fin du 19ème siècle, les agronomes ont découvert un lien entre les types de sol et certains éléments contenus dans la terre.  Mais jusqu’à la découverte de mines de sel en Allemagne, personne n’avait véritablement accès à du chlorure de potassium à effet puissant.  Soudainement, l’Allemagne s’est vu avoir accès à du chlorure de potassium : aucun besoin de forer profond car il était quasiment disponible à la surface.  Ensuite, au tournant du 20ème siècle, de telles mines ont été découvertes à travers l’Europe, la Russie et l’Amérique du Nord, aussi le chlorure de potassium est devenu la principale option en matière de fertilisation des sols.

Les feldspaths (KAlSi3O8 – NaAlSi3O8 – CaAl2Si2O8) constituent un groupe de minéraux lithogénétiques de la famille des tectosilicates représentant 41 % du poids de la croûte continentale terrestre. La couleur rose-saumon est caractéristique du feldspath K. Les fragments de cristaux de feldspath pur tendent à former des blocs rectangulaires avec des coins irréguliers.

Pouvez-vous succinctement décrire les bénéfices de la solution que vous proposez ?
Notre proposition ne se fonde pas sur la chaîne d’approvisionnement complexe et coûteuse du chlorure de potassium.  À la place, nous utilisons le feldspath potassique, qui est largement disponible presque partout sur la planète.  Aussi, plutôt que d’importer du chlorure de potassium depuis le Canada, la Russie ou l’Allemagne, nous pouvons utiliser les ressources locales et développer l’industrie locale.  Dans le même temps, du fait qu’il est produit localement, il devrait être alors possible d’ajuster le processus afin de garantir que le produit final s’avère plus adapté aux conditions du sol locales.

Une telle solution offre un avantage double : vous aidez les fermiers avec un engrais plus efficace, et vous aidez l’économie en développant l’industrie locale.  Un troisième avantage potentiel existe également, à savoir que les pays africains disposant de réserves de feldspath potassique disponibles pourraient devenir des producteurs et exportateurs de fertilisants, tels que la Russie, l’Allemagne ou le Canada le sont aujourd’hui.  Aussi, cela pourrait ouvrir de nouvelles possibilités en termes d’exploitation minière, mais également de production.

 Quels sont les défis clés auxquels vous souhaitez répondre ?
Nous devons considérer la complexité de la science des sols et de l’agronomie[3].  Nous en sommes encore à commencer à comprendre de quelle façon notre produit interagira avec d’autres nutriments contenus dans le sol et les cultures.  Ces complexités agricoles constituent ce que nous espérons résoudre, plus particulièrement concernant les régions peu étudiées.

La première chose que nous devons faire est de comprendre pour quel type de sol nous allons utiliser le produit.  Il existe de grandes différences entre les sols à travers la planète, résultant d’un éventail de raisons, allant de la quantité d’eau qu’ils retiennent conséquemment à leurs différentes origines géologiques et, parfois, l’utilisation antérieure du sol.

L’Afrique est, à l’évidence, un territoire immense, avec des sols différents dans chaque région.  Les cultures produites sont un autre facteur que nous devons envisager.  Une fois que nous aurons connaissance du type de sol et des cultures, nous serons en mesure d’aborder et de concevoir notre matériau afin de garantir qu’il sera en mesure de produire des résultats adéquats en fonction des besoins des fermiers.

Ce dernier cycle de financement de J-WAFS se poursuivra jusqu’à août 2019.  Prévoyez-vous d’avoir terminé votre recherche d’ici là ?
À dire vrai, je pense que nous serons en mesure d’effectuer des « tests sous serre » d’ici cette échéance.  Il existe des tests à petite échelle sur des plantes répliquant les conditions du sol, celle des cultures et la façon dont un fermier cultive.  La prochaine étape sera de conduire des tests sur le terrain et d’effectuer des tests de sol sur une échelle légèrement plus importante.  Si la recherche s’avère fructueuse, nous serons prêts à conduire des tests sur le terrain de six mois ou un an, qui permettront aux individus de constater les performances du matériau à grande échelle.  Après quoi, nous devrons collaborer avec des partenaires industriels et commerciaux pour adapter le produit et le commercialiser. 

À un haut niveau, il existe une chance idéale de tester notre capacité à adapter l’engrais à de nouvelles régions, bien que demeurera toujours le besoin de plus de recherches de notre part afin de pleinement comprendre l’impact de notre produit sur différentes cultures et différents types de sol. 

[1] http://www.un.org/en/development/desa/news/population/2015-report.html

[2] http://www.fao.org/news/story/en/item/35571/icode/

[3] the science of soil management and crop production