Shuqaiq 3 : repousser les limites de l’innovation
L’usine de dessalage Shuqaiq 3, dans la province de Jizan, dans le sud-ouest de l’Arabie saoudite, sera l’une des plus grandes usines de dessalage par osmose inverse (OI) au monde lorsqu’elle sera achevée au quatrième trimestre 2021.
Attribuée à un consortium d’Almar Water Solutions (par l’intermédiaire d’Abdul Latif Jameel Enterprises), Acciona, Marubeni Corporation et Rawafid Alhadarah Holding Co, cette infrastructure de 600 millions de dollars américains aura une capacité de production quotidienne de 450 000 mètres cubes et garantira l’approvisionnement en eau potable à plus de 1,8 million de citoyens, tout en contribuant au développement économique et industriel, tant au niveau local que national.
Reconnue dans toute l’industrie de l’eau comme l’une des usines les plus complexes et les plus innovantes de son genre, elle a obtenu le prix « Utilities Project of the Year » en septembre 2019, à l’occasion des Middle East Energy Awards 2019 de Dubaï, aux Émirats arabes unis, ce qui en fait l’un des projets d’infrastructure phares de la région. En dépit de la COVID-19, le projet a pu être développé grâce à la livraison dans les délais des achats et de l’ingénierie, ainsi qu’à une sécurité sur site très impressionnante et toujours en vigueur.
Dans le cadre d’une série d’entretiens avec des personnes impliquées dans le projet, Luis Morales, directeur technique de Shuqaiq 3, explique les complexités du développement et la manière dont l’équipe a réussi à mener à bien le projet malgré des bouleversement mondiaux sans précédent.
Comment les progrès se sont-ils réalisés jusqu’à présent et quels ont été les plus grands défis techniques que vous avez dû relever ?
Techniquement parlant, le plus grand défi a été celui de minimiser la consommation électrique et d’optimiser l’efficacité énergétique de l’usine, non seulement au niveau de la construction et de l’exploitation, mais également pour que la proposition soit suffisamment compétitive et que le projet nous soit attribué en premier lieu. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les vendeurs et les fournisseurs pour trouver le meilleur équipement avec la consommation d’énergie la plus faible, ainsi qu’avec les ingénieurs pour mettre en œuvre un design qui permettrait d’optimiser le processus. C’était la seule façon pour nous d’établir une position concurrentielle suffisamment forte pour remporter l’appel d’offres. Nous avons maintenant une usine hautement optimisée et qui respecte l’environnement, ce qui est extrêmement important pour nous.
La pandémie de la COVID-19 a-t-elle eu des conséquences sur les avancées du projet ?
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la pandémie a eu un impact important sur nos progrès. Nous avons été confrontés à beaucoup de retards potentiels. Pour éviter ces retards, nous avons été très proactifs, et avons travaillé avec nos sous-traitants pour développer différentes solutions. Ainsi, nous avons modifié le processus d’installation du système de captage. À l’origine, nous avions prévu de construire le système de captage depuis la mer jusqu’à la côte. Mais nous l’avons changé et l’avons construit de la côte vers la mer, ce qui signifiait que nous pouvions commencer à absorber l’eau avant même de finaliser les travaux. Pour ce faire, nous avons dû changer nombre de processus, comme fournir de nouvelles zones de lancement où l’équipe de soudage pourrait travailler sur les tuyaux, et cela s’est avéré être un véritable défis.
Vous avez mentionné l’importance de rendre cette usine aussi écoénergétique que possible. Comment avez-vous atteint cet objectif ?
L’efficacité énergétique était essentielle dans notre offre. Pour y parvenir, il ne suffit pas simplement de demander à un fournisseur une pompe plus efficace ou un meilleur moteur. Nous devions être beaucoup plus innovants au niveau des processus eux-mêmes. Nous avons adapté nos designs pour réduire la consommation d’énergie. Nous avons travaillé avec des fournisseurs de membranes pour adapter les membranes afin qu’elles fonctionnent plus efficacement en eau de mer profonde, par exemple. Nous avons conçu un système qui utilise des pompes à haute pression installées dans un « cadre », plutôt qu’individuellement. Cela nous permet de gérer toutes les pompes en même temps, ce qui améliore considérablement l’efficacité. Nous utilisons un processus à deux passages pour l’eau, par lequel celle-ci passe deux fois à travers les membranes. En analysant soigneusement les données, nous pouvons ajuster ce processus pour trouver la meilleure distribution entre le premier et le deuxième passage afin d’améliorer davantage l’efficacité.
De plus, nous avons travaillé avec nos spécialistes techniques pour réduire la pression de la pompe à eau de 4,5 bars à 3,9. Cela peut sembler peu, mais en termes de quantité d’eau que nous produisons (450 000 mètres cubes) cette petite réduction de pression entraîne de très grands gains d’efficacité énergétique.
Almar Water Solutions possède-t-elle suffisamment d’expertise et d’expérience pour innover de la sorte ?
Oui. Nous avons précédemment travaillé sur des projets dans le monde entier et avons pu utiliser l’expérience et les connaissances acquises pour les mettre à profit sur Shuqaiq 3. De plus, nous avons établi, au fil des ans, de solides liens avec les fournisseurs et vendeurs, qui nous aide à rester au fait des dernières innovations et techniques.
L’usine de Shuqaiq 3 utilise la technologie de l’osmose inverse pour produire de l’eau dessalée. Avez-vous envisagé d’autres technologies ?
Dans ce cas, le dossier d’appel d’offres faisait référence à l’osmose inverse. Nous n’avions donc pas notre mot à dire sur la technologie à utiliser. Mais même si nous l’avions fait, nous aurions choisi l’osmose inverse car il s’agit de la technologie la plus efficace et la plus performante actuellement disponible pour le dessalage de l’eau de mer.
Il existe d’autres technologies, mais qui tendent à être plus anciennes et moins efficaces, tandis que l’osmose inverse devient chaque fois plus efficace et compétitive. Il y a beaucoup d’investissements dans de nouveaux matériaux, de nouvelles solutions et techniques pour améliorer encore plus l’efficacité. C’est passionnant de voir la façon dont la technologie se développe au fil des ans.
Il existe déjà deux autres usines de traitement d’eau à cet endroit, Shuqaiq 1 et Shuqaiq 2. La nouvelle usine se trouve entre celles-ci. Est-ce que cela a présenté des défis supplémentaires ?
Oui, en effet. Nous avons eu surtout un problème d’espace. À terre, nous avons beaucoup d’espace, mais en mer, la quantité d’espace est plus restreinte. Les points de captage provenant des deux autres usines se trouvent des deux côtés de notre usine. Nous avons donc dû être très prudents lors des travaux sous-marins. Cet aspect technique de la construction a probablement été le plus difficile à relever, non seulement parce qu’il s’agissait de 1,5 km d’installation de conduites, mais aussi parce que nous devions être certains de ne pas altérer les points de captage de Shuqaiq 1 et 2 pendant nos travaux sous-marins. Nous avons mis en place des mesures de contrôle strictes pour éviter d’augmenter la turbidité de l’eau, par exemple. Shuqaiq 2 produit également de l’électricité ainsi que de l’eau. Il y a donc beaucoup de mouvements entrants et sortants des navires qui apportent du carburant, du pétrole, etc…, ce qui a également engendré des défis supplémentaires. Nous avons une bonne relation avec nos deux voisins, donc cela n’a pas été un problème, mais nous avons dû être très prudents à tout moment.
L’usine se trouve sur les rives de la mer Rouge. À quoi ressemble l’eau dans cette zone ?
L’eau de la mer Rouge est magnifique, mais elle est chaude et très riche en organismes. C’est fantastique en termes de biodiversité, mais cela rend le processus de dessalage plus difficile. Nous travaillons avec une température moyenne de l’eau d’environ 30 degrés et le niveau élevé de matières biologiques est dangereux pour le processus. Nous devons surveiller et contrôler constamment ce risque. D’un autre côté, la turbidité est bonne, ce qui est un avantage. Néanmoins, nous le savions dès le départ et, grâce à nos solides relations avec les autres usines à proximité, nous avons pu apprendre de leurs expériences afin de mettre en œuvre des solutions efficaces à ces problèmes. Ainsi, pour minimiser les matières biologiques (bio-encrassement avec des algues, etc…), nous avons mis en œuvre ce que l’on appelle un « système de raclage ». C’est là que nous utilisons de l’eau sous pression pour tirer une « balle » en plastique le long des conduits afin de les nettoyer de toute matière biologique, pour pouvoir maintenir un volume constant d’eau au niveau du point de captage. Nous avons également travaillé avec le fournisseur de membranes pour nous assurer que nous pouvions maintenir la productivité avec cette température de l’eau et éviter tout risque potentiel d’endommagement de celles-ci.
Les membranes sont des éléments cruciaux du processus de dessalage. Combien de membranes utilisez-vous ?
Notre processus, en deux passages, utilise environ 54 000 membranes : 41 000 lors du premier et 13 000 lors du second. Chaque membrane a une longueur d’environ 1 m. Nous parlons donc d’environ 54 km de membranes au total.
Comment pouvons-nous comparer la productivité de Shuqaiq 3 à celle des générations précédentes d’usines de dessalage ?
Dans les années 2000, les usines produisaient généralement entre 50 000 et 100 000 mètres cubes. Au cours des années 2010, ce chiffre a augmenté pour atteindre environ 200 000 mètres cubes, la plus grande au monde traitant 400 000 mètres cubes. Shuqaiq 3 traite 450 000 mètres cubes, soit encore plus que la plus importante des usines à ce jour, et elle se trouve probablement dans le top 10 mondial des usines exploitées.
D’autres énormes usines sont en construction en Arabie saoudite, mais même lorsqu’elles seront achevées, Shuqaiq 3 fera toujours partie des 5 plus grandes usines en termes de capacité de production.
Almar Water Solutions fait partie d’un consortium de partenaires développant Shuqaiq 3. Quelle est l’importance d’une approche de partenariat dans un projet tel que celui-ci ?
Je pense que cela est essentiel. Dans notre consortium, Almar possède les connaissances techniques, l’expertise et l’expérience préalable nécessaire à ce type de développement. Mais un projet comme celui-ci va bien au-delà de travaux d’ingénierie.
Il requière d’une expertise financière, d’une gestion de projet, d’investissement, d’opérations, etc… Travailler avec d’autres partenaires permet au consortium de bénéficier des contributions dans tous ces autres domaines d’expertise complémentaires. Et notre partenariat a bien fonctionné. Nous avons établi de solides liens au sein du consortium et cela a grandement bénéficié au projet.
Les problèmes environnementaux sont devenus beaucoup plus importants ces dernières années. Quelles mesures sont prises pour minimiser l’impact environnemental de Shuqaiq 3 ?
L’optimisation de la pérennité de l’usine est quelque chose qui s’aligne pleinement sur les valeurs et la façon de faire des affaires d’Almar Water Solutions. Nous voulons respecter l’environnement à chaque étape, non seulement pendant la construction, mais aussi pendant l’exploitation. Nous avons mis en œuvre un certain nombre de mesures et de technologies pour nous aider à y parvenir. Par exemple, cette usine dispose d’une installation de traitement des boues pour traiter tous les matériaux que nous éliminons de l’eau de mer pendant le processus de dessalage. Toutes les usines de dessalage ne disposent pas d’installations telles que celle-ci. Cela signifie que tous les déchets que nous produisons sont inoffensifs et non nocifs pour l’environnement.
Le système de raclage que nous utilisons pour nettoyer l’intérieur des conduites est également respectueux de l’environnement. Il s’agit d’un système de nettoyage mécanique. Nous pouvons donc éviter d’utiliser des produits chimiques pour nettoyer les conduites et la tour de captage, ce qui nous permet de restreindre la quantité d’hypochlorite que nous utilisons.
Finalement, pendant la phase de construction, nous utilisons des stratégies plus respectueuses de l’environnement marin. Ainsi, lorsque nous avons enterré les conduites dans les fonds marins, nous avons éliminé beaucoup de boue. Mais au lieu de simplement vider cette boue ailleurs et de perturber l’environnement marin, nous avons utilisé des dragues à succion pour la sortir de la mer. Nous la stockons. Nous la séchons, puis nous l’utilisons pour remblayer les tranchées des conduites. Donc, en gros, nous la remettons à l’endroit d’où elle provient. De même, avec la saumure provenant de l’eau dessalée, nous la reversons dans la mer à divers points le long d’un tuyau de 200 mètres, de sorte qu’elle se disperse très rapidement dans l’océan et ne surcharge pas une zone en particulier.
Vous avez travaillé sur des projets Almar précédents. Y a-t-il une différence entre ce projet et les autres sur lesquelles vous avez travaillé ?
J’ai travaillé sur d’autres projets d’Almar à différents endroits, puis aussi sur d’autres projets dans le monde entier. Chaque projet est très différent et dépend des caractéristiques locales. Shuqaiq 3 est probablement le plus mémorable de ceux-ci à cause du problème additionnel de la COVID-19, notamment entre mars et septembre 2020. Il y avait des couvre-feux, des retards dans les livraisons et les personnes ne pouvaient pas voyager. Cela a été un moment très difficile, mais je suis très fier que nous ayons pu le surmonter avec succès et que nous ayons continué à faire avancer le projet pour respecter les délais clés. La date principale est maintenant celle de la mise en service fin octobre 2021. Je suis convaincu que nous l’atteindrons.